samedi 17 juin 2017

Padirac , 120 ans d'âge


Bon! Pour une fois, je vous propose  un extrait de mes carnets souterrains, des croquis de ces nombreuses années passées à parcourir des paysages d'une pierre bien plus sauvage.

Expée Padirac du 24 au 31 Octobre 2009
La nuit s'est enfuie abandonnant dans le paysage des dentelles de brume effilochées qui tardent à céder la place à la lumière du jour. Sans se soucier de ce constat des lieux atmosphérique, la presque quarantaine de convives s'active aux préparatifs d'un tout autre évènement. L'anniversaire des 120 ans d'exploration d'une nuit éternelle, à qui aucun rayon de soleil ne viendra jamais chercher querelle. Les nombreuses équipes s'étalent en perspective sur le fond gris du goudron qui s'égaye peu à peu d'une dominante rouge ponctuée de jaune. De l'ensemble se dégage une organisation méthodique rien ne traine, ni le temps, ni le matériel ordonné au bas des coffres, promptement chacun endosse son costume et l'attirail cliquetant. La plupart ont déjà parcouru une ou plusieurs fois la rivière, et ceux pour qui ce paysage est une première, gardent leur doute et se fondent dans l'élan contagieux.



  L'apparente détermination s'interrompt brusquement aux pieds des marches. Un sortilège envahie l'espace, la rigueur cède à la dissipation et les kits et canots sont jetés en pagaille. C'est un troupeau bavard qui se présente aux photographes chargés d'immortaliser l'équipe, un réflexe récréatif avant que la pesanteur se rappelle à nos épaules. Sam à mes côté garde en main une énorme caméra, elle est là pour manifester leur détermination mais l'appareil étonne et ne suffit pas à camoufler l'inquiétude qui affleure . Il me rassure, c'est comme une cravate pour la photo. Lui et Greg (France 3) ont fait l'acquisition personnelle d'un modèle plus petit, l'idée me vient que leur motivation tiendra à l'endurance de l'objet car trois semaines auparavant ils n'envisageaient pas encore qu'ils seraient de cette obscure aventure.


   Notre disparition annoncée de la surface de la terre pendant 8 jours, se mérite par un prologue tapageur au fur et à mesure de notre passage dans les ascenseurs, passerelles et barques, difficile de nous ignorer pour le guide qui doit se faufiler au milieu des canots. Martel approuve, cerné sur son piédestal  tout comme les visiteurs qui pour l'occasion festive, nous accordent aujourd'hui une considération particulière. Nous abordons la plage de carte postale, lumineuse et dorée qui borde un lac vert au milieu duquel flotte une barque en laisse, symbole d'une aventure domestiquée. Les petits canots contournent avec arrogance le vestige échoué, non sans évoquer un sentiment de jubilation lorsqu'ils transgressent la corde qui traverse le lac, retenant l'artefact. Jeff emporte un de mes kit et me précède jusqu'à la rive. Mon attention se porte sur le canot qui émet ce claquement sec, typique en heurtant la surface de l'eau et, éveille les gestes propres à l'embarquement.
" Pas d'excès de confiance à l'embarquement! ", se plait à répéter Sylvain sur un ton professoral.


 Jeff détourne mon attention vers l'œil de la toujours grosse caméra derrière laquelle ,Sam tente de se cacher encore quelques instants. Il espère un florilège d'impressions, féminines je crois, mais je n'ai en bouche qu'un fade commentaire. Mes pensées sont parties au delà, dans les galeries sombres, reconstituer en éclaireur les différents obstacles , préoccupations que j'imagine, nous devons tous partager .


  La navigation est animée, les bruits des canots et des kits retentissent au passage des gours,devant et derrière à courte distance. Les équipes se chevauchent sans pour autant atteindre l'effet auto-tamponneuse,  du coin de l'œil on s'observe et un sourire compatissant s'esquisse quand un navigateur voit le fond de son  canot échapper sous son poids. Déséquilibre à l'issue inexorable, suivie d'un pédalage forcené. 


 De notre équipe de 4 nous nous retrouvons 3, nous distançons Sylvain qui réapparait à la  vire de Joly, ou je l'attends. Nous poursuivrons en binôme, apercevant la lumière de nos deux comparses  qui nous guettent par intermittence. 


   A mi-parcours ce que nous redoutions, se confirme. Padirac se tait, plus de salive, pas même un postillon. L'eau comme un souffle s'est retirée de l'animal. La perspective de ce tapis beige qui se déroule devant nous, augure un portage fastidieux, bras-dessus, bras-dessous avec l'encombrant canot, mal arrimé sur les épaules déjà encombrées. Cette absence déroutante nous renvoie à nous même. Imaginez un instant l'ironie d'un navire sans eau. Là ou six mois auparavant, le courant et le bruit incessant nous bousculaient dociles et abrutis vers notre destination, se déploie à présent un espace haut, sombre, expectatif dont il faut extraire la motivation d'un point de fuite impalpable. Les circonstances nous matérialisent pesant, le matériel s'entrechoque rivalisant de rythmes. Le regard attaché à nos pas, fouille au sol l'épiderme bosselet et pour échapper à cette concentration, il s'aventure sur les parois ou s'écrit une phrase ininterrompue dont  le récit évoque les vasques évaporées. Nous évaluons alors combien certains endroits sont profonds sans en tirer un réel sentiment d'optimisme. Il faut admettre que bon nombre d'obstacles disparaissent, comme le Tiroir ou le Bourdon, sous lequel nous passons sans même les voir. Par contre, ceux qui demeurent gagnent en hauteur et l'on comprend mieux pourquoi Bob la dernière fois, nous demandait de ne pas remonter les cordes qui trempaient dans l'eau. Sincèrement, ce périple serait un régal si il n'y avait pas cette corvée de portage, et chaque halte nous offre le plaisir de l'imaginer.


 Notre équipe s'installe sur la plateforme des Gours Suspendus. Extraire ses petites affaires et enfiler des vêtements secs procurent une sensation de confort accrue ( dixit l'horoscope de la semaine ). Laurent a prévu de plonger à l'affluent S-Pezet tout proche de ce bivouac, et nous ne tardons pas à nous convaincre  d'y rester deux nuits. Le fait que plusieurs équipes de plongée ont choisi d'éparpiller les bivouacs, facilitera  la cohabitation au 5000. Le souci qui nous préoccupe tous, est la nécessité de constituer une réserve d'eau potable. De notre côté, nous débusquons une pisserole au pied de la Termitière, ou avec un peu de patience pour remplir un bidon, le problème est résolu. Sur le retour dans la galerie, nous apercevons Sam installé tel un romain à un banquet, prêt à céder à la tentation du confort des lieux, et confirmé dans ses intentions par nos dires sur la proximité d'un point d'eau, adjugé, nous avons des voisins. 


 Le lendemain nous allons au S-Pezet avec une halte historique pour le Petit ( Romain 21 ans, était  parait-il sous l'effet Padirac, entendez là , fou comme un lapin ) à la Borne du Chien qui Pisse.


  L'entrée de l'affluent s'orne d'une magnifique coulée formant un élégant chapiteau. L'aventure de la Sirène peut débuter, après tout , c'est l'objectif annoncé de l'équipe. Croyez-moi la "légendaire" à tout intérêt à faire trempette. Nous harcelons Laurent sur l'hypothèse que le siphon soit désamorcé et qu'il aurait ainsi trainé son maillot de bain et ses branchies pour rien. A ce stade nous sommes des spectateurs exigeants, nous voulons voir le batracien faire trois tours dans une vasque sans suite s'il le faut !



 Heureusement nous atteignons le siphon, un peu plus loin que prévu et la métamorphose a lieu. La bestiole ressurgit 3h30 après sa disparition, ruisselante, loquace et parcourue d'un léger frisson. Le partage d'un café chaud nous retient attentifs au rapport subaquatique, topo, bouchon d'argile, escalade possible et une coquille St Jacques déposée au fond. Quelqu'un aurait-il diluer du Pastis dans le siphon ?!

leçon d'échecs 

 Nous regagnons la quiétude des Gours Suspendus, ce serait presque une île perdue dans la cavité, si il n'y avait l'activité des 120 ans. A la place c'est un balcon donnant sur une artère passante ou comme des concierges nous surveillons les allées et venues des équipes. De très loin nous parvient le fracas des pas et des heurtes des kits, des sons graves qui se prolongent évoquant l' activité de géants. Puis de l'obscurité surgissent les phares et les coups de gueules qui les accompagnent. Nous croisons ainsi Florian et Yann, porteurs du reportage vidéo, ils amorcent en contrebas le virage à grande vitesse, dans le même temps ils nous proposent d'embarquer du matériel. Juste le temps d'accepter leur proposition en évoquant les kits de plongées déposés plus loin, que déjà leur conversation s'estompe suivie longtemps  par le résonnement de leur progression. Efficaces les garçons, ils nous ont déposé notre matos au lac des Touristes, pas moins.

 Enfin le 5000, le Petit est content ! (Disons que Romain, le matin au réveil, nous balançait le faisceau de sa frontale dans les yeux pour voir si nous étions réveillés, et le soir nous n'avions pas le temps de compter jusqu'à trois qu'il dormait déjà.).



 Quelle ambiance, que d'agitation , pas vraiment la crise du logement mais nous tergiversons  quelque peu sur le choix définitif de notre emplacement. Aux tables de pierre, les services tournent et les banquettes d'argiles font salon. Nous retrouvons les rythmes propres à ce bivouac, les équipes qui déboulent le soir, les départs qui s'éternisent le matin, le ronronnement des gaz, les conversations, les projets du jour, les récits du soir ou les retardataires font l'attraction des convives selon l'état dans lequel ils se trouvent. Comme Le Petit Papa Joël avec son costume de feutrine rouge, ses bottes en caoutchouc noires bordées de poches plastiques blanches qui nous raconte le lisier qu'il a trouvé dans la galerie, un truc qui vous rend votre âme d'enfant. Jean-Michel qui revient de la pêche avec ses bigorneaux ou  plutôt des Bitinelles ,  à éviter pour les presbytes et pas encore l'espèce qui permettrait de réaliser un plateau de crustacés. Sam et Greg qui sont venus se faire des souvenirs et ramener des minutes de tournages, des plongeurs souriants qui ramènent des galeries  pleines d'eau, etc ... Ici  on vient chercher , on vient trouver, les deux en même temps parfois, mais on revient surtout .

Après toutes ces péripéties, on décide que c'est la nuit et on range tout  dans le confort d'un sac de couchage en prenant soins de tirer les cordons qui encerclent le visage.
Les uns après les autres, les canots sombrent dans l'obscurité totale  .


 Dans les hauteurs, un halo de lumière glisse à la surface des blocs qui nous surplombent. Un gardien de phare veille, dans ce monde à l'envers sur la plage au plafond balayées par des vagues de pierre à l'écume pétrifiée, il rêve les yeux ouverts aux images de Padirac pêchées dans la journée.



   Le temps s'est écoulé, le flots de pensées à de nouveau parcouru la galerie principale , intérieures ou claironnée, pour finir par se diluer dans la lumière du jour ... Et dans le parfum des touristes ...



 La plongée au Sylvain Pezet , enfin vidéo avec les moyens du bord , le lien :) 

 Les Brivistes - 8 jours plus tard et un peu moulus.




Sam et Greg Reporters :
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vendredi 

3 commentaires:

  1. Impressionnant Cat et beau reportage dans des conditions difficiles , bravo !

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  2. Saisissant...
    8 jours sous terre, ça doit être une sacrée expérience...
    Très beau reportage dessiné ! :)

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  3. Bravo Cat ! Magnifique reportage .

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