Bon! Pour une fois, je vous propose un extrait de mes carnets souterrains, des croquis de ces nombreuses années passées à parcourir des paysages d'une pierre bien plus sauvage.
Expée Padirac du 24 au 31 Octobre 2009
La nuit s'est enfuie abandonnant dans
le paysage des dentelles de brume effilochées qui tardent à céder la
place à la lumière du jour. Sans se soucier de ce constat des lieux
atmosphérique, la presque quarantaine de convives s'active aux
préparatifs d'un tout autre évènement. L'anniversaire des 120 ans
d'exploration d'une nuit éternelle, à qui aucun rayon de soleil ne
viendra jamais chercher querelle. Les nombreuses équipes s'étalent en
perspective sur le fond gris du goudron qui s'égaye peu à peu d'une
dominante rouge ponctuée de jaune. De l'ensemble se dégage une
organisation méthodique rien ne traine, ni le temps, ni le matériel
ordonné au bas des coffres, promptement chacun endosse son costume et
l'attirail cliquetant. La plupart ont déjà parcouru une ou plusieurs
fois la rivière, et ceux pour qui ce paysage est une première, gardent
leur doute et se fondent dans l'élan contagieux.

L'apparente détermination s'interrompt brusquement aux pieds des
marches. Un sortilège envahie l'espace, la rigueur cède à la dissipation
et les kits et canots sont jetés en pagaille. C'est un troupeau bavard
qui se présente aux photographes chargés d'immortaliser l'équipe, un
réflexe récréatif avant que la pesanteur se rappelle à nos épaules. Sam à
mes côté garde en main une énorme caméra, elle est là pour manifester
leur détermination mais l'appareil étonne et ne suffit pas à camoufler
l'inquiétude qui affleure . Il me rassure, c'est comme une cravate pour
la photo. Lui et Greg (France 3) ont fait l'acquisition personnelle d'un
modèle plus petit, l'idée me vient que leur motivation tiendra à
l'endurance de l'objet car trois semaines auparavant ils n'envisageaient
pas encore qu'ils seraient de cette obscure aventure.

Notre disparition annoncée de la surface de la terre pendant 8 jours,
se mérite par un prologue tapageur au fur et à mesure de notre passage
dans les ascenseurs, passerelles et barques, difficile de nous ignorer
pour le guide qui doit se faufiler au milieu des canots. Martel
approuve, cerné sur son piédestal tout comme les visiteurs qui pour
l'occasion festive, nous accordent aujourd'hui une considération
particulière. Nous abordons la plage de carte postale, lumineuse et
dorée qui borde un lac vert au milieu duquel flotte une barque en
laisse, symbole d'une aventure domestiquée. Les petits canots
contournent avec arrogance le vestige échoué, non sans évoquer un
sentiment de jubilation lorsqu'ils transgressent la corde qui traverse
le lac, retenant l'artefact. Jeff emporte un de mes kit et me précède
jusqu'à la rive. Mon attention se porte sur le canot qui émet ce
claquement sec, typique en heurtant la surface de l'eau et, éveille les
gestes propres à l'embarquement.
" Pas d'excès de confiance à l'embarquement! ", se plait à répéter Sylvain sur un ton professoral.

Jeff détourne mon attention vers l'œil de la toujours grosse caméra
derrière laquelle ,Sam tente de se cacher encore quelques instants. Il espère un
florilège d'impressions, féminines je crois, mais je n'ai en bouche
qu'un fade commentaire. Mes pensées sont parties au delà, dans les galeries sombres, reconstituer
en éclaireur les différents obstacles , préoccupations que j'imagine, nous devons
tous partager .
La navigation est animée, les bruits des canots et des kits
retentissent au passage des gours,devant et derrière à courte distance.
Les équipes se chevauchent sans pour autant atteindre l'effet
auto-tamponneuse, du coin de l'œil on s'observe et un sourire
compatissant s'esquisse quand un navigateur voit le fond de son canot
échapper sous son poids. Déséquilibre à l'issue inexorable, suivie d'un
pédalage forcené.
De notre équipe de 4 nous nous retrouvons 3, nous distançons Sylvain
qui réapparait à la vire de Joly, ou je l'attends. Nous poursuivrons en
binôme, apercevant la lumière de nos deux comparses qui nous guettent
par intermittence.

A mi-parcours ce que nous redoutions, se confirme. Padirac se tait,
plus de salive, pas même un postillon. L'eau comme un souffle s'est
retirée de l'animal. La perspective de ce tapis beige qui se déroule
devant nous, augure un portage fastidieux, bras-dessus, bras-dessous
avec l'encombrant canot, mal arrimé sur les épaules déjà encombrées.
Cette absence déroutante nous renvoie à nous même. Imaginez un instant
l'ironie d'un navire sans eau. Là ou six mois auparavant, le courant et
le bruit incessant nous bousculaient dociles et abrutis vers notre
destination, se déploie à présent un espace haut, sombre, expectatif
dont il faut extraire la motivation d'un point de fuite impalpable. Les
circonstances nous matérialisent pesant, le matériel s'entrechoque
rivalisant de rythmes. Le regard attaché à nos pas, fouille au sol
l'épiderme bosselet et pour échapper à cette concentration, il
s'aventure sur les parois ou s'écrit une phrase ininterrompue dont le
récit évoque les vasques évaporées. Nous évaluons alors combien certains
endroits sont profonds sans en tirer un réel sentiment d'optimisme. Il
faut admettre que bon nombre d'obstacles disparaissent, comme le Tiroir
ou le Bourdon, sous lequel nous passons sans même les voir. Par contre,
ceux qui demeurent gagnent en hauteur et l'on comprend mieux pourquoi
Bob la dernière fois, nous demandait de ne pas remonter les cordes qui
trempaient dans l'eau. Sincèrement, ce périple serait un régal si il n'y
avait pas cette corvée de portage, et chaque halte nous offre le
plaisir de l'imaginer.

Notre équipe s'installe sur la plateforme des Gours Suspendus.
Extraire ses petites affaires et enfiler des vêtements secs procurent
une sensation de confort accrue ( dixit l'horoscope de la semaine ).
Laurent a prévu de plonger à l'affluent S-Pezet tout proche de ce
bivouac, et nous ne tardons pas à nous convaincre d'y rester deux
nuits. Le fait que plusieurs équipes de plongée ont choisi d'éparpiller
les bivouacs, facilitera la cohabitation au 5000. Le souci qui nous
préoccupe tous, est la nécessité de constituer une réserve d'eau
potable. De notre côté, nous débusquons une pisserole au pied de la
Termitière, ou avec un peu de patience pour remplir un bidon, le
problème est résolu. Sur le retour dans la galerie, nous apercevons Sam
installé tel un romain à un banquet, prêt à céder à la tentation du
confort des lieux, et confirmé dans ses intentions par nos dires sur la
proximité d'un point d'eau, adjugé, nous avons des voisins.

Le lendemain nous allons au S-Pezet avec une halte historique pour le
Petit ( Romain 21 ans, était parait-il sous l'effet Padirac, entendez là , fou comme un lapin ) à la
Borne du Chien qui Pisse.
L'entrée de l'affluent s'orne d'une magnifique coulée formant un élégant
chapiteau. L'aventure de la Sirène peut débuter, après tout , c'est
l'objectif annoncé de l'équipe. Croyez-moi la "légendaire" à tout
intérêt à faire trempette. Nous harcelons Laurent sur l'hypothèse que le
siphon soit désamorcé et qu'il aurait ainsi trainé son maillot de bain
et ses branchies pour rien. A ce stade nous sommes des spectateurs
exigeants, nous voulons voir le batracien faire trois tours dans une
vasque sans suite s'il le faut !
Heureusement nous atteignons le siphon, un peu plus loin que prévu et
la métamorphose a lieu. La bestiole ressurgit 3h30 après sa disparition,
ruisselante, loquace et parcourue d'un léger frisson. Le partage d'un
café chaud nous retient attentifs au rapport subaquatique, topo, bouchon
d'argile, escalade possible et une coquille St Jacques déposée au fond.
Quelqu'un aurait-il diluer du Pastis dans le siphon ?!

leçon d'échecs
Nous regagnons la quiétude des Gours Suspendus, ce serait presque une
île perdue dans la cavité, si il n'y avait l'activité des 120 ans. A la
place c'est un balcon donnant sur une artère passante ou comme des
concierges nous surveillons les allées et venues des équipes. De très
loin nous parvient le fracas des pas et des heurtes des kits, des sons
graves qui se prolongent évoquant l' activité de géants. Puis de
l'obscurité surgissent les phares et les coups de gueules qui les
accompagnent. Nous croisons ainsi Florian et Yann, porteurs du reportage vidéo, ils amorcent en contrebas le virage à grande vitesse, dans le
même temps ils nous proposent d'embarquer du matériel. Juste le temps
d'accepter leur proposition en évoquant les kits de plongées déposés
plus loin, que déjà leur conversation s'estompe suivie longtemps par le
résonnement de leur progression. Efficaces les garçons, ils nous ont
déposé notre matos au lac des Touristes, pas moins.

Enfin le 5000, le Petit est content ! (Disons que Romain, le
matin au réveil, nous balançait le faisceau de sa frontale dans les yeux
pour voir si nous étions réveillés, et le soir nous n'avions pas le
temps de compter jusqu'à trois qu'il dormait déjà.).


Quelle ambiance, que d'agitation , pas vraiment la crise du logement
mais nous tergiversons quelque peu sur le choix définitif de notre
emplacement. Aux tables de pierre, les services tournent et les
banquettes d'argiles font salon. Nous retrouvons les rythmes propres à
ce bivouac, les équipes qui déboulent le soir, les départs qui
s'éternisent le matin, le ronronnement des gaz, les conversations, les
projets du jour, les récits du soir ou les retardataires font
l'attraction des convives selon l'état dans lequel ils se trouvent.
Comme Le Petit Papa Joël avec son costume de feutrine rouge, ses bottes
en caoutchouc noires bordées de poches plastiques blanches qui nous
raconte le lisier qu'il a trouvé dans la galerie, un truc qui vous rend
votre âme d'enfant. Jean-Michel qui revient de la pêche avec ses
bigorneaux ou plutôt des Bitinelles , à éviter pour les presbytes et
pas encore l'espèce qui permettrait de réaliser un plateau de crustacés.
Sam et Greg qui sont venus se faire des souvenirs et ramener des
minutes de tournages, des plongeurs souriants qui ramènent des galeries
pleines d'eau, etc ... Ici on vient chercher , on vient trouver, les
deux en même temps parfois, mais on revient surtout .

Après toutes ces péripéties, on décide que c'est la nuit et on range
tout dans le confort d'un sac de couchage en prenant soins de tirer les
cordons qui encerclent le visage.
Les uns après les autres, les canots sombrent dans l'obscurité totale .
Dans les hauteurs, un halo de lumière glisse à la surface des blocs qui
nous surplombent. Un gardien de phare veille, dans ce monde à l'envers
sur la plage au plafond balayées par des vagues de pierre à l'écume
pétrifiée, il rêve les yeux ouverts aux images de Padirac pêchées dans
la journée.
Le temps s'est écoulé, le flots de pensées à de nouveau parcouru la
galerie principale , intérieures ou claironnée, pour finir par se
diluer dans la lumière du jour ... Et dans le parfum des touristes ...
La plongée au Sylvain Pezet , enfin vidéo avec les moyens du bord ,
le lien :)
Les Brivistes - 8 jours plus tard et un peu moulus.